Exposition : du 12 novembre 2017 au 14 janvier 2018 au Centre d'art contemporain de Meymac, place du bûcher, 19250 Meymac.
ouvert du mardi au dimanche de 14h à 18h.
Fermé les 24, 25, 31 déc. et 1er janv.
Vernissage : 11 novembre 2017 à 18h


Informations :
Cette exposition "hors les murs" présente des œuvres réalisées principalement lors des résidences à Chamalot de juin à août 2017.
Textes de Théo-Mario Coppola :
Antoine Carbonne :
L’instinct de la couleur, de sa matérialité primordiale est une sensation. Point de départ à la construction d’une peinture qui ne trahit pas le présent. Cet instinct fait resurgir en même temps le réel et le rêve, la vérité et le fantasme. Chacune des œuvres d’Antoine Carbonne propose de livrer un monde à la contemplation désinvolte, à façon d’un Limbour. La proximité des couleurs vives appuyant le déploiement d’une énergie féconde, démiurgique. Certains éléments évoquent la peinture surréaliste et une sensualité de l’entremêlement pour laquelle les figures humaines, la nature florissante et les citations à l’âge classique entrent dans ce complexe univers de résurgences. Les corps sont sans visage, objets de désir ou de volonté mystérieuse. L’onirisme est atteint par la force du décor. Il est vecteur d’une narration cryptée, au seuil de la psychanalyse. Les scènes plus quotidiennes et urbaines sont cadrées comme au cinéma, ou comme nous le ferions avec nos téléphones portables, créant une intimité provoquée par le regard. Comme cette salle de cinéma. Comme cette cuisine. Comme cet escalator. La facture des œuvres sur papier, à la gouache, intensifie la proximité avec l’espace environnant, parfois livré avec une intense vivacité, parfois retenu dans une composition souple mais sereine où le paysage s’extrait du contexte. Il semble ici et ailleurs. Une hétérotopie en somme, celle qui permet à l’humanité de se sentir tout le temps ailleurs et en même temps ici, c’est-à-dire projeté dans un espace où la narration au futur est encore possible, où l’individu peut s’aventurer. Mais cette vision du lieu n’est pas strictement conceptuelle. Elle appelle à nouveau à l’émotion d’un instant, à l’expression rapide d’un regard furtif ou d’un souvenir plus fort que le réel lui-même. Elle est aussi un Eden.
La peinture d’Antoine Carbonne transfigure. Elle ne témoigne pas d’un état, mais combine cet état à des variations d’humeur, édifiant ainsi un environnement libre de l’Histoire et des repères temporels traditionnellement bâtis. Par rapprochement des peintures entre elles, non rattachées à des séries, se dessine une plus vaste narration dans laquelle tout semble résonner, entrer en contact. L’une ne précède pas l’autre. La narration fluide, diffuse, est induite par les spécificités de la perception. Cette narration n’est donc pas le fruit de l’intention d’un auteur seul mais de sa volonté de donner à chacun les clefs d’une réécriture. Ce positionnement permet d’interpréter par association des œuvres diverses, traversées par des signes ayant valeur d’indices.
Benoît Géhanne :
Le langage pictural de Benoît Géhanne s’élance avec musicalité dans le recouvrement des espaces et l’apparition des images. Son œuvre peut ainsi être évoquée à travers les compositions de Schubert dont l’écriture labyrinthique s’amuse de l’usage de certains motifs, des réinterprétations perpétuelles d’histoires récurrentes. Cette musique est l’occasion d’un questionnement de la peinture, sans arrêt sur image. L’image de la ruine qui peuple le postmoderne n’a plus besoin ici d’être un sujet de contemplation. La peinture digère ces éléments pour les revitaliser ailleurs. Le point de départ de la série réalisée pour la résidence Chamalot est presque un accident, pour ainsi dire une situation. Sa perception de l’environnement et de la présence de barrages hydrauliques dans la nature environnante déclenche ainsi la réalisation d’un travail ouvert à la combinaison complexe des formes et des états de la peinture. La variété des techniques, l’appropriation des formes produites par ces images et leur double symbolique dialoguent ou s’entrechoquent les unes les autres. Ces rapprochements formels nourrissent la peinture d’un jeu dynamique, fait de rebonds. La courbe des barrages est alors prétexte à l’exploration de la ligne, au dessin d’une forme jusqu’alors inconnue. Celle-ci s’ajoute à la citation des images qui deviennent ainsi moteurs d’une réflexion sur un vocabulaire de la peinture, inclusif et diffus. Il ne s’agit pas de s’attarder en pure contemplation sur ces représentations mais au contraire de poursuivre l’écriture d’une histoire qui entre en résonance avec d’autres formes, d’autres éléments inscrits eux-aussi dans l’histoire de la peinture. Le dépassement s’opère dans le délicat soulèvement de ces formes qui semblent s’ouvrir, comme des opercules, laissant apparaître des paysages et des éléments d’architecture. La construction d’une horizontalité elle-même suggère le détournement du paysage. Les couleurs évoquent un vocabulaire de la construction, du chantier et de la signalétique. Ce que la couleur construit, elle le doit au langage du réel codifié, aux signes qui alentour fondent un lexique pictural. Ce vocabulaire renvoie lui-même à des objets techniques, tel ce parafoudre haute-tension. Au second plan, l’association de la forme, de l’image et de la couleur évoque le champ lexical de l’énergie, renvoyant à une époque d’utopie. Et, de la même manière que le paysage est régulièrement contraint par les activités humaines, en particulier quand celles-ci induisent l’exploitation économique, Benoît Géhanne intègre à la construction de la peinture la perturbation des éléments entre eux. La peinture, elle-aussi, est un espace de luttes. Ces bousculements sont mobilisés jusque dans la matière même du support. L’huile associée à l’aluminium prolonge cette réflexion sur la matérialité de la peinture, appliquée sur un support non conventionnel. Les coffrages de bois laissent leur emprunte sur le béton des barrages. Le travail de texture permet d’enrichir la composition d’une atmosphère où la matité domine, perturbant ainsi la lecture traditionnelle de l’image, intégrée comme un élément à distance, découpée par une forme au premier plan, à travers laquelle elle se laisse en partie saisir. Les suggestions et les allusions s’imbriquent, l’œuvre s’ouvrant là où elle se borne et où se dessinent les marges.
Johan Larnouhet :
La peinture de Johan Larnouhet déploie l’univers de l’installation, avec des références à la composition classique et une géométrie mobilisée comme un vocabulaire en expansion, en fonction des associations d’objets et des situations perçues. Ces espaces peuvent ainsi être envisagés comme des décors abandonnés. La peinture devient un chantier où toutes les formes sont accueillies avec un égal respect. À l’heure du numérique, ses peintures tentent de reconstruire une réalité à partir de cette multiplication des écrans, comme autant de fenêtres ouverte sur le monde, de prismes de projection.
Certains sols peints en damier ou en motifs géométriques renforcent le sentiment d’étrangeté, rappelant les peintres primitifs italiens où le mystère tient aussi à la multiplication des formes. Cette étrangeté est accentuée par le dégradé des ciels, projection de l’immense et du désirable, ainsi que de l’inattendu. Entassement d’éléments contradictoires ou complémentaires, les formes proposées coexistent entre elles. La peinture de Johan Larnouhet est un art de la synthèse, réalisant le rapprochement des éléments par l’épure, laissant peu à peu disparaître les sources. Les formes simples, parfois élémentaires semblent intégrer une codification, un langage primordial avec lequel des possibilités infinies sont étalées. La mise en scène évoque le théâtre et l’agencement d’un espace clos, déterminé, réceptacle d’une situation. Les figures humaines en sont absentes. Le mouvement est suggéré par la position des éléments. La composition enrichie par un jeu subtil d’éclairages et de perspectives permettant de sculpter le vide, de lui donner une identité. Vies en chantier et théâtres du quotidien s’imbriquent et provoquent la naissance de nouvelles atmosphères au langage radical.
Le dualisme de la composition de la peinture traverse certaines de ses œuvres. L’architecture fait face à la nature, l’ombre portée se construit dans des espaces baignés de lumière, les espaces clos se poursuivent ailleurs avec des ouvertures éparses. Ses inspirations mobilisent les utopies et la construction de mondes fictifs, réalisés à partir d’éléments du réel. Sa peinture convoque aussi bien des références à la renaissance italienne, qu’à la peinture métaphysique ou à l’art minimal. Par juxtaposition, Johan Larnouhet accentue le contraste, formalise les oppositions, suggérant la construction des coulisses de la peinture, affirmant son goût pour une architecture labyrinthique et utopique.
La réflexion distanciée et le questionnement induit, le projet non strictement réaliste et figuratif de la peinture de l’artiste entretiennent des similitudes avec les préceptes de la forme épique du théâtre de Brecht, avec une ambition plus conceptuelle que politique : prééminence de la narration, vision élargie du monde, montage, présence du spectateur face au spectacle. L’esthétique de ces espaces offre au regardeur la chance de s’y perdre, de s’abandonner au monde.
Jérémy Liron :
A côté, quand le regard se laisse aller à la contemplation d’autre chose, à la marge de l’action principale et du spectaculaire. A côté, quand une ombre projetée intensifie la matérialité d’un objet, d’un élément d’architecture. A côté, quand la pensée entre en intimité avec le réel. La peinture de Jeremy Liron procède par détours successifs. Le regard semble ricocher d’un point à un autre, libéré de l’attrait premier du réel, là où d’ordinaire l’action se trame. La quotidienneté entre en résonance dans le rapprochement des sujets. Sensible à l’approche littéraire de Hugo von Hofmannstahl qui portait son regard sur tous les objets du monde, à commencer par les plus communs et donc les plus oubliés, Jérémy Liron explore lui-même ce vocabulaire de la marge.
Il s’attarde sur ce que le regard exclut habituellement. Qu’il s’agisse d’un parcours d’architecture, de la tête d’une sculpture, d’une barrière au coin d’une rue, d’un paysage d’été serein. L’architecture est ainsi livrée en portrait. Et, les habitants absents sont suggérés par les aménagements alentour. Un travail sur l’épuisement de la reproduction des formes aboutit à une confrontation aux caractéristiques de l’architecture et du paysage. Ce dernier suggère un rapport sentimental à la matérialité des choses. Le cadrage, parfois accidenté, augmente la perception sensible d’un instant volé. La peinture de Jérémy Liron est évocatrice d’un présent permanent, nourri pas la multiplication des images, perçues et vécues comme des instantanés. La vision périphérique s’impose comme l’indice d’une grande déambulation, à la recherche de l’absence, d’un signe caché, d’une forme surprenante. La fragmentation du réel s’accompagne d’une stylistique minimale, retenue par les lignes de fuites, les couleurs douces et lissées. Les tonalités accentuent la distanciation de l’action et peut-être du temps lui-même qui semble s’échapper, revenir d’un autre état, d’un passé révolu.
Ses peintures sont-elles finalement celle du présent permanent, de l’instant à saisir, ou au contraire doivent-elles-être considérées comme des souvenirs, des évocations plus lointaines ? La peinture ajoute à l’image le trouble du temps choisi, ce qui ouvre la lecture de l’œuvre au statut de l’image, à ses caractéristiques plastiques et à son langage esthétique. L’œuvre se confond-elle avec le document ? Une des réponses sur cette question du temps de la représentation et du rapport à l’image comme document est apportée par Aby Warburg, autre inspiration déterminante dans le travail de Jéremy Liron. L’image est primordiale. Elle s’impose avant toutes les autres actions de la représentation. Avec elle, ce n’est plus la réalité qui importe, mais le rapport au monde, c’est-à-dire la traduction des impressions humaines. L’image est une sempiternelle conjuration des peurs et des incompréhensions. La peinture de Jérémy Liron est contextualisation du réel. L’image ne reproduit pas le réel, elle en dessine les bornes, nécessaires à la projection de l’individualité. A la périphérie du monde et au centre de soi-même.
Aurore Pallet :
La peinture de Aurore Pallet combine le travestissement des formes, la mobilisation du document et l’exploration des proximités formelles. Chaque série est une histoire en plusieurs chapitres où la forme révèle la condition d’un état de l’action humaine. Elle construit des hypothèses sur le monde en mobilisant des concepts classiques, point d’appui d’un travail qui se saisit du document, du mythe et de ses symboles. L’humanité est scrutée au travers du drame et du fait historique. Ces hypothèses sont des ouvertures sur l’interprétation humaine des phénomènes, créant des images mentales. Les déchaînements de la nature ne sont-ils pas les métaphores de la folie humaine ? Dans l’Odyssée d’Homère, Ulysse doit affronter les vents libérés par le dieu Eole. Sa grotte de lave à Stromboli en Sicile, où Rossellini filma Ingrid Bergman dans le rôle d’une femme prisonnière de l’île est un lieu de mythologie perpétuelle. C’est aussi sur une île déserte que Prospero et Miranda se retrouvent dans la Tempête de William Shakespeare. L’exploration du paysage moteur de l’action rappelle également les grands thèmes de la peinture classique comme Paysage orageux avec Pyrame et Thisbé de Nicolas Poussin où les éléments déchaînés évoquent les passions troublées et le mystère d’une nature indomptable. Et de la peinture romantique allemande, lieu d’une réflexion philosophique sur le rapport de l’individu face à l’immensité des paysages. L’évocation de la tornade est aussi celle du cinéma américain avec Twister de Jan de Bont en 1996 ou Take Shelter de Jeff Nichols en 2011. C’est aussi la tornade qui emporte Dorothée dans le Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum, élément déclencheur de l’aventure du livre. Avec les tempêtes et des déluges, les comportements humains, en proie au doute et à la survie, sont révélés. Au seuil de la tempête, avant que la catastrophe ne se produise, tout est encore possible, au bord du basculement. Aurore Pallet a notamment porté son attention sur les chasseurs d’orages et de leurs inlassables pérégrinations. Ils appréhendent ainsi la nature en exposant leur corps à la dureté des éléments, essayant de rejoindre le sublime, d’être là « au bon moment ». L’individu ne peut plus feindre ou jouer. Elle s’est également inspiré de la fresque de Uccello, le Déluge poursuivant cette interprétation d’un motif récurrent dans son œuvre. Avec les Augures, en lien avec le De Rerum Natura de Lucrèce, les paysages sont accidentés au point d’incarner des fantômes. Ils sont les indices tangibles de notre lien avec le cosmos, de l’engloutissement, au milieu des signes et des images, avec lesquels nous nous débattons. Au milieu des tempêtes, qui devenons-nous, oracles ou héros ? Aurore Pallet dépasse la lecture classique du phénomène naturel, mobilisant les documents qui étayent la clarification du réel, dans une visée anthropologique. Toujours prêts à nous saisir des rôles offerts par le destin, nous luttons pour notre survie. En acceptant le kairos, nous saisissons l’opportunité qui jamais ne se représente à nous. Les orages et les tempêtes intéressent Aurore Pallet parce qu’ils sont des prétextes, des biais symboliques menant à une réflexion sur l’image mentale, l’instant qui précède un déclenchement, la transformation d’un état. Saisir le moment où tout est encore possible, où le monde n’a pas encore totalement basculé, c’est ouvrir la peinture au vertige du présent.
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